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Laureen Gressé-Denois

Le Billet Neuchâtelois - Neuchâtel, le Lys suisse ?




«Neuchâtel, c’est comme le lys blanc, pur, plein d’odeurs pénétrantes, la jeunesse, la fraîcheur, l’éclat, l’espoir, le bonheur entrevu.» Honoré de Balzac

Le lys, symbole par excellence de la France, également majestueux attribut marial, est la fleur préférée de l’écrivain tourangeau qui en a même fait le titre de sans doute le plus célèbre de ses romans : Le Lys dans la Vallée. Aussi, pourquoi cette fleur, chère à son cœur, est-elle si volontiers associée à Neuchâtel, pourtant une ville suisse ? Certes, elle n’est qu’à vingt-et-un kilomètres du premier village français… La France et l’Helvétie seraient-elles donc bien plus proches qu’on ne le croit, grâce à cette perle entre lac et montagne ?

Balzac en a fait la terre de son amour le plus ardent, le plus patient. Celui qui a longtemps cherché son admiratrice secrète, qui avait commencé à lui écrire anonymement depuis 1832, réside en fait à Neuchâtel ! La Polonaise Eveline Hanska est en effet mère d’une petite Anna, qui avait comme institutrice une Neuchâteloise, Henriette-Françoise Borel. Avec la fillette, la gouvernante et son mari, le comte Hanski, elle déménage dans cette ville suisse. Là, Madame Hanska continue inlassablement à écrire à Balzac dont elle savoure les écrits avec délectation et grande admiration. Finalement, une fois son identité révélée, il est convenu entre les deux épistoliers d’enfin se rencontrer… À Neuchâtel ! Balzac narre son arrivée jusqu’en Suisse, le cœur tremblant, palpitant, d’enfin découvrir le visage de cette femme mystérieuse qu’il a commencé à aimer malgré la distance, juste par ses mots. Là, au pied de la collégiale, il la rencontre, au sommet de cette colline qui domine tout le lac et toute la vieille ville, avec une vue formidable sur les Alpes bernoises s’il fait beau. Le banc en pierre de leur première entrevue demeure, inscrivant dans le temps, l’un des plus incroyables amours littéraires français. Neuchâtel gardera d’ailleurs toujours dans le cœur de Balzac, une place inégalée. Il en parle à Madame Hanska avec une nostalgie tendre, témoin de leurs premiers émois, de leurs premiers échanges tactiles, de leurs premiers plongeons amoureux. L’atmosphère le charme, le fascine, le séduit, renverse sa mémoire dès qu’il l’évoque dans ses lettres ou même ses romans. Dans Les Paysans, Honoré écrit ainsi : «Cette petite ville est une de ces compositions naturelles excessivement rares en France, où le joli, dans ce genre, manque absolument (…) Là, vous retrouverez en effet le joli de la Suisse, (...) le joli des environs de Neuchâtel. Les gais vignobles qui forment une ceinture à Soulanges complètent cette ressemblance, hormis le Jura et les Alpes, toutefois; les rues, superposées les unes aux autres sur la colline, ont peu de maisons, car elles sont toutes accompagnées de jardins, qui produisent ces masses de verdure si rares dans les capitales.»




PAJOU, Berthier en tenue de Grand Veneur, 1808, huile sur toile, 215 cm X 133 cm, Château de Versailles

Il ne faut toutefois pas s’y tromper : la France et la Suisse se courtisaient déjà bien avant dans cette ville ! En 1806, Neuchâtel passe française grâce à Napoléon qui la récupère en échange de Hanovre des mains de Frédéric-Guillaume III de Prusse. Afin de laisser son indépendance relative à la ville, l’Empereur accepte de garder le régime de principauté et d’en donner le titre à son fidèle maréchal Alexandre Berthier. Véritable loyal de Bonaparte, ce dernier a été présent à toutes ses grandes batailles. Alors occupé sur le front prussien, Berthier n’a pourtant jamais pu rendre visite à ses sujets. Pire encore, pour avoir commencé à être en désaccord avec l’Aigle (il lui avait conseillé de ne pas mener la campagne de Russie, trop risquée selon lui) Berthier est disgracié et doit abdiquer le 3 juin 1814. Si seulement Napoléon avait écouté le prince de Neuchâtel…! L’Histoire aurait peut-être connu une autre tournure, qui sait...



DROZ, Pièce de deux francs à l'effigie d'Alexandre Berthier, prince de Neuchâtel, 1814, argent, 10,12 grammes, Swiss International Coin Auction AG



Maison des Halles, façade est

Encore plus loin dans le temps, en se promenant dans la vieille ville, le visiteur curieux remarque sans aucun doute la maison des Halles, bien en vue depuis la place Pury (place principale, qui borde le lac). Construite en 1570 par Laurent Perrenoud, cette architecture renaissante charme autant le regard que l’urbanisme environnant, se fondant dans un écrin historique déjà fort remarquable. Ancien lieu de dépôt de marchandises précieuses (céréales, tissus, etc.), son emplacement était déjà à l’époque très stratégique pour les commerçants qui venaient en barque jusque devant y déposer leurs importants produits. Sur sa façade est, de curieuses armoiries attirent le regard, d’autant que des fleurs de lys y apparaissent ! À l’époque de la construction de la maison des Halles, il faut savoir que le comte de Neuchâtel était… Henri Ier d’Orléans, duc de Longueville ! Repassons un instant la frontière française en remontant le temps pour s’y retrouver un peu. En février 1403, Mariette d’Enghien, maîtresse de Louis Ier d’Orléans (le frère de Charles VI), met au monde Jean de Dunois. Ce bâtard devient le compagnon d’armes de Jeanne d’Arc et son petit-fils, Louis Ier d’Orléans-Longueville, épouse en 1504 Jeanne, la fille du comte de Neuchâtel. Voilà comment une partie du sang royal français arrive en Suisse ! La dynastie y règne longtemps, de 1504 à 1707 ! Une partie de la France moderne s’y est donc imprégnée, regorgeant parfois d’amusantes anecdotes...



Citons par exemple le 13 Mars 1668, pour l’avènement du nouveau prince Charles-Paris d’Orléans-Longueville. Le jeune homme de dix-neuf ans avait alors comme marraine la ville de Paris et à douze ans, il était nommé abbé commendataire par Louis XIV : quelle enfance tout de même ! Sans oublier qu’à sa triste mort à vingt-trois ans, on travaillait à le faire devenir roi de Pologne… Avenir prometteur arraché trop tôt ! Quoi qu’il en soit, pour fêter son arrivée sur le trône princier neuchâtelois, il est décidé de jeter à la foule des pièces d’argent valant dix kreuzers, à l’effigie du nouveau dirigeant ! Si vous souhaitez aujourd’hui vous procurer un de ces petits bouts de France monétaire en Suisse, réfléchissez-y un peu ! En effet, il faut tout de même sortir vingt mille francs suisses de son portefeuille pour en obtenir une aux enchères !



ANONYME, Jean-Frédéric Perregaux, fin du XVIIIème siècle, huile sur toile, 66 X 54,5 cm, collection privée

À travers les mouvements du temps, les jeux diplomatiques, les relations commerciales et artistiques, Neuchâtel a bel et bien une petite saveur française pour ceux qui savent la chercher dans ses ruelles, dans ses livres d’Histoire, dans son passé particulier, parfois oublié ou même devenu anecdotique. Ne nous y fourvoyons pourtant pas, la Suisse a aussi envoyé quelques figures de proue en France ! Il suffit d’aller au Panthéon pour retrouver Jean-Frédéric Perregaux, banquier neuchâtelois ayant été très influent à Paris. Il travaille par exemple pour Jacques Necker, ministre des Finances de Louis XVI ! Ami d’Élisabeth Vigée-Lebrun et de Madame de Staël, il est également le banquier de beaucoup de célèbres clients comme la future épouse de Talleyrand ou encore Lord Elgin (l’aristocrate anglais ayant fait transférer les marbres du Parthénon à Londres). Il devient même régent de la Banque de France en 1800 ! Un sacré personnage dans le tumulte parisien…


Le lys, fleur de France, a donc bel et bien égaré quelques pétales à Neuchâtel… pour le bonheur des quelques Français s’y étant installés pour quelque temps !

Je vous dis à très bientôt pour un nouveau Billet Neuchâtelois en compagnie d’une nouvelle reporter qui me rejoint au printemps* ! J’en profite également pour remercier Romain Militello, Neuchâtelois, pour ses idées d’anecdotes et pour sa documentation sur la ville ! Grüetzi ! Tchô ! **

Laureen GRESSÉ-DENOIS

* Même à l’étranger, on a tous quelque chose en nous de Monsieur Patrimoine !

** « Salut ! » respectivement en suisse allemand et en suisse romand


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