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  • Salomé Bloedé

ArchéoClub - Recettes antiques et médiévales : toucher du doigt les délices anciens


Détail de l’une des faces de l’étendard d’Ur, civilisation sumérienne, vers 2600-2500 av. J.-C., conservé au British Museum

Que ce soit un riche Romain à demi allongé savourant sa grappe de raisin ou les ouvriers du palais de César nourris de lentilles à la pause déjeuner, les images de repas antiques plus ou moins luxueux sont assez nombreuses dans nos esprits, qu’elles soient véhiculées par des bandes dessinées, des affiches publicitaires, des livres ou encore des films. Mais il est possible de reconstituer plus précisément des recettes culinaires antiques et médiévales, grâce aux découvertes archéologiques, à l’étude de certains textes anciens ainsi qu’aux expériences de quelques courageux, recettes qui raviront les papilles de vos invités, à moins de les dégoûter. En effet, vous découvrirez dans cet article de délicieux petits plats, mais également des recettes plus... surprenantes, et dont nous imaginons mal qu’elles aient pu être appréciées par les contemporains.



Recettes romaines


La cuisine romaine est tout d’abord plutôt bien connue de nous, et ce en partie grâce à Marcus Gavius Apicius (vers 25 av. J.-C. – vers 37 apr. J.-C.), membre de la haute société romaine qui aurait recueilli en un livre un certain nombre de recettes de cuisine, même s’il se pourrait en fait que ces textes aient été rassemblés après sa mort et lui aient été seulement attribués. Ce recueil nous est connu depuis longtemps et les recettes qu’il contient, parfois incomplètes, ont tout de même permis aux chercheurs de reconstituer certains plats.


Commençons en beauté avec une boisson qui réjouira vos convives : le mulsum, breuvage à base de vin, adouci au miel et aux épices. A partir des textes d’Apicius et de sa recette du conditum paradoxum ou « vin merveilleux aux épices » (1), il est possible d’en composer différentes versions, ce qu’a notamment mis en œuvre l’association Human-Hist (2). Pour en avoir goûté plusieurs, nous avons décidé de vous présenter notre préférée : le mulsum cannelle-laurier ! Pour en réaliser environ 5 litres, voici les ingrédients qui vous seront nécessaires :

  • 5 litres de vin rougeore

  • 8 à 10 bâtons de cannelle

  • 10 feuilles de lauriers

  • 625 grammes de miel

  1. Commencez par verser un demi-litre de vin dans une grande marmite et faites-le chauffer à feu doux avec l’ensemble du miel.

  2. Lorsque l’ébullition commence, retirez le mélange du feu, ajoutez-y environ ¼ de litre de vin et laissez le revenir à température ambiante.

  3. Répétez cette 2e opération deux fois supplémentaires.

  4. Laissez ensuite reposer votre mélange 24h, à température ambiante, avec un couvercle.

  5. Écumez le mélange, ajoutez-y les épices puis le reste de vin rouge.

  6. Laissez ensuite reposer le tout 3 à 5 jours. Vous pouvez choisir de laisser le mélange dans la marmite ou bien, si cela est plus pratique pour vous, de transférer à nouveau le vin dans les bouteilles initiales. Dans ce dernier cas, assurez-vous de répartir les bâtons de cannelle et les feuilles de laurier pour qu’elles puissent macérer de manière égale dans chaque bouteille.

  7. Vous pouvez enfin servir le mulsum, froid (et même avec des glaçons, si, si), à température ambiante, ou même chaud !


D’autres versions peuvent exister, avec du safran, du poivre, ou d’autres épices encore. A vous de choisir ce que vous préférez !


L'une des quatre mosaïques qui ornaient les coins de l'atrium dans la villa d'Aulus Umbricius Scaurus, célèbre producteur de garum, à Pompéi. L'amphore représentée contient la meilleure de ces quatre sortes, du garum de maquereau : G(ari) F(los) SCOM(bri) SCAURI EX OFFI(ci)NA SCAURI

Passons maintenant à quelque chose d’un peu moins ragoutant, mais qui plaira peut-être aux plus aventureux : le garum ! Cet assaisonnement peut être comparé au nuoc-mam chinois. Il s’agissait de laisser reposer dans un récipient des viscères de poisson afin qu’ils macèrent dans du sel. Après les avoir laissés réduire au soleil, il convenait de filtrer le mélange pour en conserver la partie liquide. Bon appétit ! À en croire Pline l’Ancien, cette substance pourrait également avoir des propriétés médicinales et aiderait « contre les morsures de chien et surtout contre celles du crocodile et dans les ulcères […] et les douleurs de la bouche et des oreilles. » (3) Nous ne pouvons toutefois que vous conseiller de rester prudent et, en cas d’ulcère, de consulter de préférence un médecin plus au fait des méthodes médicinales actuelles !



Recettes mésopotamiennes


Pour des périodes plus anciennes, aucun recueil de recettes à proprement parler ne nous est parvenu. Nous ne connaissons pas d’Apicius mésopotamien et n’avons principalement accès qu’à des sources plus indirectes telles que les archives palatiales du royaume de Mari, dans lesquels les responsables des repas du souverain avaient listé les aliments nécessaires à leur préparation. Mais des découvertes plus récentes, aux alentours des années 2000, ont mis au jour trois tablettes cunéiformes, datant des environs de 1600 avant notre ère, qui rassemblent une quarantaine de recettes de l’époque. Ces tablettes ont connu des dégâts qui ont mené à la perte de certaines informations, mais il a tout de même été possible de les traduire. L’une de ces recettes explique comment préparer une « bouillie de betteraves-tuḫ’u » :


« Il y faut de la viande de gigot (?). Tu mets en place de l’eau ; tu y ajoutes de la graisse. Tu épluches les légumes. Tu ajoutes du sel ; de la bière ; de l’oignon ; de la roquette ; de la coriandre ; du samidu ; du cumin. Après avoir réuni le tout aux betteraves, tu y ajoutes du poireau et de l’ail écrasés. Tu en saupoudres ta bouillie de coriandre, et tu y éparpilles du šuḫutinnû. » (4)

Pour ce qui est des boissons que consommaient les contemporains, la bière était omniprésente, bien que très différente de celle que nous pouvons consommer aujourd’hui : le houblon y était inconnu. Il semble que différentes façons de la préparer aient existé, que nous ne connaissons que mal, mais un poème en sumérien, daté du tournant du IIIe au IIe millénaire avant J.-C., nous permet tout de même de comprendre à quel point ce breuvage pouvait être apprécié, puisqu’il s’agit d’une certaine façon de l’équivalent de nos chansons à boire. Nous en citerons ici un extrait :

« Ô cuve à bière ! Cuve à bière ! Cuve à bière qui béatifies l’âme ! Hanap, qui mets le cœur en joie ! Gobelet si indispensable ! Jarre remplie de bière ! [...] Tous ces récipients dressés sur leur piédestal ! Ce qui vous réjouit, nous réjouit, aussi, À merveille ! Oui ! notre âme est heureuse, notre cœur en liesse ! [...] Je vais mander brasseurs et échansons, Pour nous servir des flots de bière, à la ronde ! Quel plaisir ! Quel délice ! À la humer béatement, À entonner dans l’allégresse cette noble liqueur Le cœur joyeux et l’âme radieuse ! » (5)

À la prochaine fête de famille, vous pourrez ainsi apprendre à votre oncle ou cousin un peu trop alcoolisé et prêt à pousser la chansonnette qu’il peut revendiquer un bien bel et bien ancien héritage ! Vous pourrez cependant ajouter que dès l’Antiquité, certains ont au contraire souligné les dérives potentielles liées à la consommation d’alcool, tel que le montre le texte suivant, copié par un scribe égyptien (6) :


« À un mauvais élève, On m’apprend que tu as abandonné l’écriture et que tu vis dans un tourbillon de plaisirs. Tu vas de rue en rue, l’odeur de la bière demeurant partout où tu es passé. Or, la bière t’écarte de la condition humaine et fait que ton âme divague. Tu es comme un aviron faussé, dans une barque qui n’obéit d’aucun côté. Tu es comme un naos vide de son dieu, comme une maison vide de pain. »


Recettes égyptiennes


Pour ce qui concerne l’Égypte ancienne, nous n’avons pas conservé de recueil de recettes qui pourrait nous donner d’informations précises sur ce que mangeaient les contemporains. Nous ne possédons pas de sources directes, qui se sont mal conservées puisqu’elles n’ont pas été placées à l’abri, dans des tombes. Des scènes peintes ou des reliefs peuvent cependant nous apporter des informations, de même par exemple que des papyrus médicaux donnant des recettes de remèdes et de potions (7). Notons tout de même que la nourriture représentée dans les tombes était dans l’ensemble réservée à l’élite et liée aux idéaux funéraires de cette société. Elle ne nous indique donc pas forcément ce que consommait quotidiennement la majorité de la population. Il est cependant possible de reconstituer dans une certaine mesure une recette simple du pain égyptien, source principale d’alimentation à l’époque. À vous de tenter des expériences, pour déterminer précisément les quantités nécessaires !



Paroi du fond du magasin de la tombe de Ti, à Saqqarah, avec scènes de fabrication de pains et de bière, milieu de la Ve dynastie. (8)

Après avoir transformé des céréales en farine, il convient d’y ajouter de l’eau jusqu’à obtenir une pâte, que l’on fait cuire. Il est possible d’ajouter du levain ou du sel. Voilà une recette de base, que l’on peut adapter en ajoutant à cette pâte de quoi la sucrer ou la parfumer : différentes graines, herbes aromatiques, ou encore des figues. Ces informations nous sont également parvenues grâce aux nombreux pains retrouvés dans les tombes, qui y avaient servi d’offrande funéraire, et qui nous ont aussi appris que les pains de l’époque pouvaient adopter tous types de formes, selon le moule dans lequel ils étaient cuits. Nous savons par ailleurs que ces moules ont changé de dimensions entre l’Ancien et le Moyen Empire, peut-être à cause d’une forme de dévaluation, puisque le pain servait alors d’étalon pour payer les ouvriers.



Pierre Tallet, à qui nous devons cette recette, a également proposé une reconstitution de la façon dont les Égyptiens préparaient leur bière, qui était alors épaisse et très nutritive, cette préparation étant souvent représentée dans les bas-reliefs des tombes. Après avoir à nouveau écrasé des céréales, blé ou orge, il faut en pétrir les trois quarts avec de l’eau pour former une pâte, à laquelle on ajoutera de la levure. Cette pâte est ensuite partiellement cuite, sous forme de pains, tandis que l’on humidifie le dernier quart de la préparation de départ et qu’on le laisse reposer à l’air. Les pains sont ensuite réduits en morceaux et placés dans de l’eau, à laquelle on ajoute le dernier quart de blé écrasé. La fermentation dure une journée, après quoi l’on peut tamiser la préparation avant de la mettre en jarre.

C’est d’ailleurs en Egypte, dans le Delta oriental, qu’a été découverte la plus ancienne brasserie connue à ce jour, dans le kom Ouest de Tell el-Farkha.


Ces deux recettes sont donc moins précises que celle du mulsum que nous avons présentée plus haut (dont il ne faut toutefois pas oublier qu’elle est interprétée à partir des textes d’Apicius mais n’y est pas présentée telle quelle), mais nous ne doutons pas que vous saurez réaliser vos propres tentatives, quitte à nous en fournir les recettes en cas de résultat gustativement convaincant !


Recettes médiévales


Llenques de fromage, photographie issue du site internet « Recette Médiévale »

Passons maintenant à des recettes plus récentes, en abordant la cuisine médiévale, et tout d’abord la recette des Llenques de fromages, datée du XIVe siècle, provenant d’Espagne, selon le Libre de Sent Sovi. Pour quatre personnes, il convient de mélanger dans un saladier 190 grammes de farine, 120 grammes d’eau et 2,5 grammes de levure. Après avoir remué trois minutes environ, vousvin pouvez laisser reposer la pâte pendant 15 minutes. Pendant ce temps, coupez de fines tranches de fromage de brebis (en enlevant la peau). Une fois que la pâte a levé, ajoutez-y six jaunes d’œufs, jusqu’à obtenir une masse lisse et liquide. Faites ensuite chauffer de l’huile d’olive dans une casserole pour faire frire les morceaux de fromage que vous aurez auparavant trempés dans le mélange. Il faut que les morceaux soient bien dorés, après quoi vous pouvez les sortir et les saupoudrer de sucre après les avoir posés sur du papier absorbant. Un dernier conseil, selon le texte original :

« Si vols donar llesques de formatge ben gras, fes llesques del formatge ben grosses. » (9)

Hákarl suspendu pour séchage en Islande

Nous finirons cet article avec une recette datée de l’Âge Viking (793-1066). Elle est donc bien antérieure à la précédente, mais il nous tenait à cœur de vous laisser avec une recette des plus alléchantes : le hákarl, ou requin faisandé. Ce plat est par ailleurs encore cuisiné de nos jours, du moins par de rares amateurs. Laissez-vous surprendre par cette spécialité islandaise, dont les saveurs ne vous sont pas communes. Le requin du Groenland n’urinant pas, sa chair se trouve saturée d’acide urique qui, une fois absorbé par l’organisme, peut être toxique ou du moins provoquer des sensations proches de l’ivresse. Toutefois, après une longue préparation, cette chair peut être consommée. Nous ne saurons donc trop vous recommander de ne pas tenter cette recette chez vous, sans le concours d’un spécialiste ! Votre curiosité sera tout de même satisfaite de savoir que cette préparation consiste à enfouir dans le sol la chair en question pour la laisser faisander au moins deux mois puis à la faire sécher à peu près aussi longtemps, ce qui permet de diminuer la quantité d’acide urique contenue dans la chair de l’animal. L’odeur d’ammoniac reste cependant très forte, ce qui doit être assez surprenant à la dégustation.



Salomé BLOEDÉ




Notes :

(1) Apicius, De re coquinaria, I, 1.

(2) Vous trouverez une autre version de cette recette au lien suivant : https://leg8.fr/recette/mulsum/, ainsi que d’autres recettes romaines sur le site de l’association en question.

(3) Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXI, 93-96.

(4) Jean Bottéro, La plus vieille cuisine du monde, Audibert, Paris, 2002, p. 50.

(5) Idem, p. 142.

(6) Texte cité par Pierre Grandet, dans Contes de l’Égypte ancienne, Hachette Littératures, Paris, 1998, p. 12.

(7) Pierre Tallet, « Quelques remarques sur la cuisine et l’alimentation en Égypte pharaonique », in: L’Archicube, n°11, décembre 2011, p. 11-20.

(8) Illustration tirée de l’article de Dominique Farout, « Sens dessus dessous ou comment montrer ce qui est caché », in PALLAS, 92, 2013, pp. 57-70.

(9) Cette recette est tirée du site internet « Recette Médiévale », qui propose un très grand nombre de recettes issues de manuscrits et autres sources, et parmi lesquelles vous trouverez sans doute votre bonheur ! Ceux qui les ont compilés semblent être principalement des médiévistes, mais tout amateur de cuisine peut proposer une recette, à condition qu’elle soit accompagnée d’une source historique.


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