L’année dernière, à la même période, la rédaction avait déjà interrogé Anaïs Ripoll à propos de son premier roman, Le secret de l’École du Louvre, paru au début de l’année 2019. Nous invitons donc nos lecteur.ice.s à consulter cette première interview sur notre site, afin d’apprendre à mieux la connaître et découvrir sa première oeuvre [ndlr : le lien vers le premier article sera bientôt à nouveau disponible suite à des soucis de maintenance sur notre site habituel].
La rédaction est honorée de pouvoir l’interviewer à nouveau, cette fois-ci pour parler de son second roman, intitulé Tant que le jour se lèvera.
Louvr’boîte : Bonjour Anaïs !
Anais Ripoll : Bonjour !
LB : Seulement un an après la parution du précédent, quelle est la genèse de ce nouveau roman, y a-t-il eu un déclencheur particulier ?
AR : J'ai mis dix ans à reprendre Le Secret de l’Ecole du Louvre, c’était très compliqué parce que j’étais jeune et c’était mon premier exercice d’écriture. Celui-ci, au contraire, a été beaucoup plus facile et rapide à écrire. L’écriture a été limpide, l’histoire a comme jailli de moi. L’élément déclencheur a bien évidemment été le confinement. Ce roman est né deux jours avant l'événement. Mon compagnon et moi qui vivons à Toulouse sommes partis dans les Pyrénées, coupés de tout, et sur le trajet du retour, on entendait dans toutes les radios « Macron va annoncer le confinement ». C'était une situation très oppressante. On s’est alors dit « si seulement on avait été confinés dans les Pyrénées ». Pendant l’heure et demie de trajet qui a suivi, je suis restée silencieuse et le scénario est né naturellement et spontanément.
LB : La situation sanitaire mondiale a donc bien été le creuset de cette nouvelle intrigue. Mais les personnages et lieux de l’action sont-ils encore une fois inspirés de votre vie personnelle ?
AR : Je crois qu’il est difficile de créer un personnage ex nihilo, c’est-à-dire sans rapport avec ce que l’auteur vit, ça rend le roman moins authentique. Mes proches ont tout de suite reconnu que les personnages principaux que sont Faustine et Jules sont en réalité mon compagnon et moi. C’est l’histoire d’un couple, confiné à Toulouse. Sauf que la situation tourne au cauchemar et ils décident de s'enfuir dans les Pyrénées pour essayer de vivre en autonomie. J'ai donc écrit en imprégnation avec ce je vivais, comme pour le précédent roman. Je ressentais avec intensité les angoisses des personnages, les questionnements liés au contexte de crise sanitaire. De plus, j’ai voulu mettre en évidence deux aspects opposés : comment l’a vécu Faustine ? Et Jules ? J’ai en fait voulu montrer qu’une même situation peut être ressentie et vécue différemment. On retrouve dans le roman à la fois le vécu individuel de chacun des personnages mais aussi celui du couple, qui veut garder la tête hors de l’eau et qui vit une véritable épreuve.
LB : Si c’est le cas, retrouve-t-on des liens, directs ou indirects, avec le métier de commissaire-priseur ou le domaine de l’art ?
AR : Si le premier roman se rattachait clairement avec le contexte et le public de l’EDL, ici ce n’est plus le cas. Faustine n'est pas commissaire-priseur, lui attribuer ce métier m’aurait trop ressemblé. J’ai voulu créer un personnage éloigné de moi, mettre de la distance avec elle pour me rassurer en quelque sorte. Elle est peintre. C’est la concrétisation d’un fantasme puisque j’aurais aimé être artiste. En parallèle, ça a aussi engagé une réflexion sur les métiers non essentiels : à partir du moment où Faustine est confinée, elle n’arrive plus à peindre, se dit qu’elle ne sert à rien et tombe dans un moment d’abattement, contrairement à moi : il a aussi été intéressant de voir le parallélisme entre mon personnage et moi, qui a écrit très rapidement ce roman. Faustine n’arrive pas à tirer quelque chose de cette expérience, à créer. Mais c’est en abandonnant ses rêves de carrière alors qu’elle commençait à se faire connaître, chose difficile à accepter, qu’elle réfléchit, au milieu de nulle part. Pour qui veut-elle peindre ? Quelle est la place de l’artiste dans cette « fin du monde » ? J’ai voulu montrer un véritable travail d’introspection au cours de laquelle Faustine réussira à faire ressortir quelque chose de positif et créatif.
LB : L’écriture de ce roman s’est-elle donc révélée thérapeutique ?
AR : L’écriture m’a permis à la fois de nourrir mes angoisses mais aussi de les exorciser : cela a été une véritable catharsis pour moi. C’était intéressant de me tenir à distance de la situation tout en me la réappropriant, en la réinventant pour la maîtriser et créer la fin que je voulais.
LB : Si l’écriture fut thérapeutique pour vous, la lecture peut-elle l’être aussi ?
AR : Une lecture m’a bouleversée, un cadeau de Noël, donc lu bien avant la pandémie : le roman intitulé Dans la forêt de Jean Hegland, qui cartonne d’ailleurs en ce moment. Il a été écrit il y a 25 ans en se fondant sur le thème de la survie et sur le fait que la société s'effondre, thématique en fait très actuelle. Deux sœurs vont devoir survivre dans une société qui s'effondre sans pour autant comprendre pourquoi. Ce fut un choc pour moi : cette lecture concrétise les questionnements déjà présents en moi, sur l’environnement notamment (j’ai par exemple récemment adhéré à Greenpeace Toulouse). Cela a été une vraie claque et m’a tourmenté : la prophétie formulée dans le livre se réalise. J’ai alors procédé à la réappropriation des deux sœurs en un couple sans pour autant copier l’auteur. J’ai repris le fait que le lecteur doive se contenter du peu d'informations que possède l'héroïne en adoptant uniquement le point de vue de Faustine : c’est cette absence de narrateur omniscient qui m’a vraiment marquée en tant que lectrice.
LB : Le vécu de ce confinement, pour vous personnellement et pour vos proches, a-t-il eu un impact sur l'écriture?
AR : Dans le roman, Faustine se demande comment vont ses proches, sa nièce notamment dont elle est très proche (comme moi dans la réalité). J’ai dû alors brouiller les prénoms et les lieux parce que je n’arrivais pas assez à me détacher émotionnellement des personnages pour les faire mourir, les faire disparaître, etc… Ma mère est institutrice donc faisait partie des gens en première ligne dans la crise du COVID19, ce qui a forcément impacté l’écriture.
LB : Avez-vous eu de réelles prises de conscience par rapport à la situation, qui transparaissent dans ce roman?
AR : J’avais déjà un intérêt pour tout ce qui est « zéro déchet » et comment consommer mieux, mais j’ai été d’autant plus frappée par la pénurie dans les magasins dévalisés et donc le manque d’autonomie responsable de la situation. Donc, ce roman est avant tout sur la survie : les personnages apprennent à survivre tandis que, moi de mon côté, j’ai commencé à faire mes propres produits ménagers. C’est pour exprimer ce questionnement que j’ai écrit ce livre.
LB : Sur le sujet du roman : le premier était plutôt une enquête policière, et cela dans un cadre bien précis. Qu’en est-il de la nature de celui-ci ? Et quel est le public visé ?
AR : Contrairement au premier roman qui est plutôt anecdotique et policier, ce roman aborde des thèmes plus universels comme l'espoir, la vie, pourquoi on est là, dans une réflexion plus globale. Tout le monde peut s’y retrouver. Ce n’est pas un roman catastrophe, un condensé de plaintes sur la situation. Ce n’est pas non plus un roman sur le confinement (qui n’est abordé qu’au premier tiers de l’histoire) mais plutôt un récit sur le monde d’après. La fin est ouverte : chacun peut espérer à sa manière la fin qu’il veut. S’il y avait un mot pour décrire mon livre je dirais : ESPOIR.
LB : Si ce livre existe en partie « grâce » au confinement, peut-on s’attendre à une suite, étant donnée la situation actuelle de reconfinement ?
AR : Je commence actuellement un troisième roman, encore complètement différent, ce qui relève du challenge. Breaking news ! Il s’agirait d’un thriller : l’histoire d’une fille tordue qui n’a jamais oublié un amour de vacances et qui veut le retrouver à tout prix alors qu’il semble avoir totalement disparu. Elle va alors entreprendre une enquête pour retrouver ce garçon. L'ambiance est totalement différente. Mais étant donné le très bon accueil auprès des lecteurs de Tant que le jour se lèvera, je réfléchis à une suite, dix ans plus tard, racontée par un autre personnage qui prend le relais pour répondre aux questions sur le monde d’après qui ne trouvent pas leur réponse avec Faustine.
LB : Après votre premier roman, et cela malgré son succès, vous disiez ne pas vouloir forcément écrire à nouveau : votre point de vue a-t-il changé ? Envisagez-vous une évolution professionnelle, une carrière d’autrice ?
AR : Le premier livre a été une sorte de one shot, je l’ai publié longtemps après l’avoir écrit et depuis je n’avais pas forcément d’inspiration. Pour ce second ouvrage, le sujet est venu d’un coup. Je n’avais pas songé à écrire de nouveau mais les circonstances ont fait changer les choses. Par contre, je ne peux pas avoir la prétention d’en faire un métier. De plus, c’est très difficile de se faire éditer encore plus étant donné la situation actuelle : pendant le confinement, un Français sur quatre s’est mis à écrire, ce sont donc des milliers d’auteurs amateurs qui se sont révélés… Les maisons d'édition sont noyées sous les manuscrits. Pour ma part, mes livres relèvent de l’auto-édition et n’ont jamais été envoyés à une maison d’édition. Donc pour l’instant, le but n’est pas de faire éditer le livre mais reste bien de prendre du plaisir en l’écrivant.
LB : Enfin, si l’on est intéressé.e, où peut-on retrouver votre livre ? En ces temps confinés, est-il disponible pour soutenir les petites librairies indépendantes (même si réduites au « click and collect ») ?
AR : Vous pouvez bien sûr le trouver dans les librairies de quartier proposant le click and collect, leur demander de le commander sans problème. Il est aussi disponible sur tous les sites habituels (Fnac, Cultura…) ainsi qu’en version numérique, pour celles et ceux qui préféreraient le lire sous cette forme.
LB : Merci beaucoup pour toutes ces réponses, nous avons hâte de vous lire à nouveau !
AR : Avec plaisir, merci à vous d’avoir fait appel à moi !
Interview menée de concert par Mélissande Dubos et Jeanne Spriet, pour le compte du Louvr’Boîte, le 16 Novembre 2020.
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