Des notes de synthé, des percus (aussi au synthé) et une voix qui entonne « Au-dessus des vieux-volcans… ». Pas de doute, vous êtes bien dans les années 80 et ce chant si mélodieux que vous êtes en train d’ouïr est Voyage voyage, le plus gros — si ce n’est le seul — hit de Desireless, cette chanteuse androgyne à la coiffure digne d’un balai-brosse.
Voyage Voyage le mal-aimé …
Peut-être que, comme moi, vous écoutez encore cette chanson en 2015, empli de nostalgie pour une époque où vous n’étiez même pas né. Cependant, c’est avec des sentiments contradictoires que je fais résonner ce son mélodieux dans mes oreilles. Pourquoi ce hit, pourtant n°1 dans pas moins de douze pays dont le Liban, la Thaïlande et la Yougoslavie, reste un don’t des soirées et suscite, lorsque vous essayez une percée entre les Liza Monet et autres boom-boom, des « Oooh nooooon », « Qui a mis ce truc ? » et autres interjections mécontentes, alors que nous sommes dans son pays natal, la France ? (NB : Voyage Voyage n’aura jamais atteint la première place du Top 50 chez les baguettes-à-bérets).
Je reste persuadée que ce morceau est comme une vieille ritournelle, un disque qui se serait rayé à force d’être joué et, victime de son succès, détestée par la force des choses. C’est pour cela que j’aimerais rendre ses lettres de noblesse à cet hymne qui est à l’année 1986 ce qu’I will survive est à 1999.
… mais finalement appréciable.
Desireless (ou, du moins le compositeur/parolier, Jean-Michel Rivat) a réussi par cette chanson un coup de maître, comme tous les créateurs de tubes. Telle une formule magique de sorcellerie jetée sur l’eau sacrée d’un fleuve indien, le simple fait d’évoquer son titre arrivera à mettre en tête ce refrain si entraînant pendant un moment, plus loin que la nuit et le jour. Refrain qui est d’ailleurs mis en valeur par une simple mais efficace pause de deux temps avant le mot « voyage », répété deux fois (et près de cinquante en tout). Il est aussi important de remarquer l’accord entre le sujet, les paroles et la musique. Cela semblerait évident pour une chanson mais finalement, tous les tubes ne respectent pas ce principe (souvenez-vous de Dragostea din tei : à quel moment « l’amour sous un tilleul » justifie un « Allo » initiateur et des gus qui dansent sur un avion ?).
Que ce soit les rythmes, que l’on peut qualifier d’« exotiques » (entre gros guillemets), les lieux du monde entier évoqués ou ce refrain entêtant, tout, je dis bien tout, évoque ce voyage qu’on nous assène. Et non, Claudie (vraie prénom de Desireless), je ne m’arrête pas, je continue et je le dis tout haut : écouter ta chanson me transporte effectivement chez les blacks, chez les Sikhs, chez les jaunes (c’était les années 80, on fermera les yeux sur le caractère douteux de ces appellations…). Je soulignerai enfin la poésie du texte, qui, il faut bien l’avouer, n’est pas à jeter par-dessus bord ; elle participe de ce chemin spirituel que l’on parcourt, le casque sur les oreilles (ou les écouteurs, si vous êtes plus team minimaliste).
Un clip audacieux
Ainsi, tout semble-t-il nous faire voyager mais, si votre mémoire ne vous fait pas défaut, un détail vous titillera : le clip. Et oui, ce « film de Bettina Rheims » qui ne passe plus que sur MCM Pop — le Nostalgie des vidéoclips —, n’a de voyageur que le vieux powerpoint qui défile en fond, réalisé grâce à Google Images (anachronique, je sais, mais vous comprenez l’idée). Néanmoins, comme pour le reste, il n’est pas difficile d’y trouver une certaine beauté. Ce clip, qui se déroule clairement dans un hôpital psychiatrique, est beaucoup plus noir qu’il n’y paraît. Outre le fait qu’une femme se fasse peloter par un roux, il se passe des choses pour le moins bizarres dans cette salle : un homme tente de rouler une pelle à un globe terrestre gonflable ; son voisin, un géant, effectue des mouvements que je ne saurais qualifier ; trois vieilles font semblant de jouer aux cartes ; une femme s’empiffre de gâteaux qu’elle jette par terre… puis tout ce beau monde finit par se réunir devant le diaporama.
Je ne suis pas une experte ès clip, mais je ne pense pas trop me mouiller en affirmant que celui-ci n’est pas juste un caprice de la part de Claudie qui souhaitait se déhancher devant un vidéo-projecteur. On peut y déceler un réel sens et me viennent à l’esprit plusieurs hypothèses me paraissant plausibles. La plus séduisante rejoint ce voyage spirituel, déjà évoqué, se trouvant à la portée de tous et notamment aux plus imaginatifs, ceux dont l’esprit est le plus libre.
Une chose est sûre, je — et peut-être vous aussi — voyage (voyage) tellement que le retour à la réalité en est presque difficile, mais ce n’est pas grave ; la force d’une chanson réside dans le fait qu’il suffit d’appuyer sur « retour » pour la recommencer. Voyage voyage, éternellement.
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