Le Lebor Gabála Érenn ou l’implicite naissance de la conscience nationale irlandaise…
Introduction
Dans la vie, deux choses me passionnent : tout d’abord, comme vous vous en doutez, les différentes mythologies qui existent dans le monde, et deuxièmement, tout ce qui peut faire chier l’Angloy. Et un sujet qui remplit particulièrement cette mission, c’est bien la question de l’indépendance des différents pays environnants la perfide Albion, à savoir le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande. Si les deux premiers sont encore aujourd’hui totalement sous domination anglaise, le dernier est lui parvenu à prendre progressivement son indépendance, bien que la République d’Irlande soit à ce jour toujours amputée de six comtés au nord.
La division de l’Île n’est guère récente : en effet, la dernière trace d’une Irlande unie remonte à la fin du VIIIe siècle, avant que les Vikings ne commencent à débarquer et à coloniser certaines parties de l’île d’émeraude. C’est d’ailleurs à cette période qu’est mis par écrit le mythe qui nous intéresse aujourd’hui. Il s'agit de la tradition fondatrice de l'Irlande celtique, le Lebor Gabála Érenn (ou Livre des invasions). Après avoir été transmis exclusivement de manière orale durant des siècles, ce récit irlandais majeur fut copié, développé et remanié par les clercs afin d’être plus en phase avec l’enseignement de l’Église catholique. C’est pourquoi en raison de cette constitution tardive (allant jusqu’au XVIe siècle), la légende nationale irlandaise mêle éléments bibliques, épisodes de la mythologie classique et récits vernaculaires.
Il est aisé d’associer cette mise par écrit avec le début des invasions normandes. En effet, on peut penser que dans une volonté d’affirmer l’unité culturelle et politique irlandaise et de conserver à jamais des traces de celle-ci, les souverains irlandais de l’époque, conscients du danger que représentaient les Vikings, aient demandé la rédaction de cet ouvrage. Cela leur a probablement également permis de justifier leur pouvoir en s’inscrivant dans une histoire nationale millénaire face à des envahisseurs nouveaux. Nous sommes donc là en présence d’un véritable roman national dont les Gaëls se présentent comme les seuls authentiques héritiers et dans lequel l’unité de l’île d’émeraude n'est quasiment jamais remise en question. La conscience nationale irlandaise est donc née.
Les origines bibliques et la première occupation
L’histoire de la verte Erin commence au temps du Déluge. En effet, selon le Lebor Gabála Érenn, Bith, fils du patriarche biblique Noé, se vit refuser une place dans l’Arche. Sa fille Cesair prit alors le commandement d’une expédition composée de cinquante femmes et de trois hommes : Bith lui-même, Ladra le pilote et Fintan, le mari de Cesair. Au terme d’une errance de sept ans, ils débarquèrent en Irlande, en un lieu nommé Dún na mBarc (Bantry Bay dans le comté de Cork), 2958 ou 2361 ans avant Jésus Christ. C’est ainsi le premier peuple de l’histoire mythique d’Érenn.
Cesair mourut finalement six jours avant le Déluge, catastrophe qui extermina tout son peuple, à l’exception de Fintan qui se transforma en saumon. Il survécut par la suite aux différentes invasions que connut l’Irlande, toujours grâce à ses multiples transformations et enfin renaquit sous la forme d’un homme. Il devint ainsi le témoin de l’histoire irlandaise sous le nom de Tuan Mac Cairill.
La première conquête de l’Irlande
Deux cent soixante-huit ans après le Déluge, Partholon débarqua avec sa femme, ses trois fils et leurs épouses respectives (on dit aussi qu'ils étaient vingt-quatre hommes et vingt-quatre femmes), en provenance de Grèce. Cette arrivée aurait eu lieu le jour de Beltaine, c’est-à-dire le 1er mai. Très vite, la population crût de manière importante. Partholon créa donc les sept lacs et les quatre plaines, les rivières, les forêts et les montagnes. Il inventa les moyens de subsistance dont les hommes ont besoin (agriculture, élevage, chasse, pêche) et instaura le druidisme en transmettant son savoir. Enfin, il entraîna les hommes à la guerre afin d’affronter et de repousser les Fomoires, des monstres inhumains parfois appelés « Géants de la Mer » arrivés en Irlande après le Déluge. Ce fut le cas à la bataille de Mag Itha, après laquelle les Fomoires se réfugièrent sur l'île de Man.
L’ère des Partholoniens dura ainsi 300 ans, jusqu'à ce qu’une épidémie détruise toute la population en une semaine, à l'exception toujours d’un seul rescapé : Tuan Mac Cairill.
La deuxième conquête de l’Irlande
Trente ans plus tard vint Nemed, fils d'Agnoman, avec ses quatre fils. Après une période de paix, les Nemediens durent résister aux Fomoires qui tentèrent de reconquérir l'île et qui parvinrent à s'y implanter. Ces derniers opprimèrent alors le peuple de Nemed et les obligèrent à leur payer tribut chaque année. Mais, menés par trois chefs, Semul, Erglan et Fergus “au Côté rouge”, les fils de Nemed se révoltèrent et abattirent la tour de Conann, le chef de guerre des Fomoires. Ils finirent tout de même par quitter l'Irlande, séparés en trois groupes.
La troisième conquête de l’Irlande
Deux cent soixante ans après la prise de la tour de Conann arrivèrent les descendants de Semul. Réduits en esclavage par les Grecs pendant leur exil, ils fabriquèrent des bateaux avec leurs sacs (Fir Bolg signifie vraisemblablement “Hommes-Sacs”) et retournèrent en Irlande. Ils arrivèrent en trois groupes : celui des Fir Bolgs qui viendrait de la Belgique, celui de Fir Domnann qui serait originaire de la Domnonée, et celui des Gáilióin qui serait originaire de la Gaule. Finalement, les Fir Bolg furent vaincus à la première bataille de Mag Tuired par les Túatha dé Danann et durent se réfugier dans des îles.
La cinquième conquête de l’Irlande
Enfin vinrent d'Espagne les Milesiens (du latin "miles" : "soldat"), ancêtres des Gaëls. Vivant dans la grande tour de Breogan en Espagne d’où il pouvait apercevoir l’Irlande, Ith décida de s’y rendre avec 90 compagnons. Mais les Túatha dé Danann,
La quatrième conquête de l’Irlande
Les enfants de Bethach, petit-fils de Nemed, étaient allés au nord du monde lors de l’exil des Nemediens. Ils y apprirent le druidisme, la science et la magie : ce sont les Túatha dé Danann (“les fils de Danu”). Désireux de récupérer la terre de leurs aïeux, ils revinrent en Irlande sur des nuages sombres, apportant les quatre talismans : la pierre de Fal, l'épée de Nuada, la lance de Lug et le chaudron du Dagda. Ils obscurcirent le soleil pendant trois jours et trois nuits puis, comme je l’ai mentionné précédemment, défirent les Fir Bolg à la première bataille de Mag Tuired.
Les Túatha dé Danann affrontèrent ensuite les Fomoires lors de la seconde bataille de Mag Tuired. Leur roi Nuada mourut et la royauté fut donc donnée à Lug, qui tua son grand-père Balor “le Fort Frappeur”, roi des Fomoires. Les Fomoires furent alors définitivement bannis de l’île d’émeraude.
Soupçonnant Ith de vouloir envahir l’Irlande, le tuèrent. Son corps fut alors renvoyé en Espagne et son oncle Mile y vit un prétexte pour attaquer les Túatha dé Danann. Mais à la différence de ses fils, Mile n’atteindra jamais l'Irlande. Les Milesiens arrivèrent donc en Irlande avec à leur tête Amorgen Glungel, également durant la fête de Beltaine.
Sur leur chemin, ils rencontrèrent les déesses Eriu, Banba et Fotla et leur promirent que le pays serait nommé d'après celle dont le conseil les aiderait à conquérir cette terre. Les Milesiens vainquirent ainsi les Tuatha dé Danann à la bataille de Tailtinn et prirent Tara, leur capitale, où ils s'établirent.
Comme ce fut le conseil d'Eriu qui leur permit de gagner, le pays fut appelé Erin ou Éire en son honneur. Après une courte résistance des Túatha dé Danann, une trêve fut instaurée et le pays fut partagé : les Milesiens eurent droit à la partie au-dessus du sol tandis que les fils de Danu furent obligés de se retirer dans l’Autre Monde, sous les tertres.
Selon la tradition, les Ard ri Érenn (les rois suprêmes d’Irlande) sont issus de trois des fils de Mile : Érimón, Ir et Eber Finn. Mais Érimón et Eber Finn entrèrent en guerre et ce dernier fut tué lors d'une bataille. Érimón régna alors sur tout le territoire et devint ainsi le premier roi humain de toute l'Irlande. Ainsi finit le Lebor Gabála Érenn.
Gabriel Schmit, dit Papa Ours
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