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  • Raphaël Vaubourdolle

Hérald'HIC! - Les armes des Châteaubriant

De l’implicite d’un écu d’armes et des légendes qui en découlent : les fleurs de lis des Châteaubriant

Armoiries actuelles des Châteaubriant
Armes actuelles des Châteaubriant

Après avoir établi l’inexactitude de la légende expliquant la création des armoiries des Dodge, revenons dans dans notre bonne vieille France (n’en déplaise aux indépendantistes bretons) pour étudier le cas particulier d’une très ancienne famille de l’Argoat (ou de Haute-Bretagne, c’est selon) : les Châteaubriant.


Leurs armes se blasonnent aujourd’hui : « De gueules semé de fleurs de lis d’or ». Mais vous vous doutez bien que la précision d’« aujourd’hui » n’est pas anodine, les armes des Châteaubriant ne furent pas toujours ainsi. En effet, les sceaux nous renseignent fort bien sur le sujet, tels ceux relevés par le mauriste Pierre-Hyacinthe Morice de Beaubois dans le premier volume de ses Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, tirés des archives de cette province, de celles de France et d'Angleterre, des recueils de plusieurs sçavans antiquaires, paru en 1742 et consultable sur Gallica. Le savant bénédictin nous partage ainsi les armoiries de Geoffroi II en 1199 et de Geoffroi III en 1214 et 1217, scellant divers actes législatifs. Nous pouvons observer sur ces trois sceaux un magnifique semé de plume de paon,

"De gueules papelonné d'or", armes anciennes des Châteaubriand

que la tradition a traduit par un papelonné. Cela nous éclaire au passage peut-être sur l’origine de cette plutôt rare composition héraldique, souvent associée à une fourrure (au même titre que l’hermine ou le vair) et décorant le champ de l’écu de motifs en écailles. Bref, jusqu’en 1217 au moins, les Châteaubriant portent un papelonné. Mais au cours du XIIIe siècle, leurs armoiries changent pour celles que nous connaissons tout au long du Moyen-Âge et jusqu’à aujourd’hui.


Penchons-nous donc sur la merveilleuse légende de la création de ces nouvelles armes. Une légende de croisade et de chevaliers. Nous sommes en l’an de grâce 1248 dans le port d’Aigues-Mortes, une grande partie de la noblesse y a suivi le roi Louis IX pour embarquer vers l’Orient et la Ville des villes, Jérusalem, de nouveau soumise aux chefs musulmans. Après une escale à Chypre, les croisés débarquent victorieusement à Damiette et se dirigent vers le delta du Nil. S’engage alors la longue bataille de la Mansourah de laquelle un héros se dégage : Chotard (Geoffroi) de Châteaubriant. Alors que le roi était menacé par des combattants égyptiens, ce dernier se jeta à ses devant pour le défendre et répandit son sang sur les armes du suzerain. Louis IX, pour le remercier, octroya à ce valeureux et à ses descendants le droit de porter les fleurs de lis royales sur le champ de gueules de son ancien écu. Et c’est ainsi que les Châteaubriant prirent leurs armes « de gueules semé de fleurs de lis d’or » et la très spectaculaire devise « Notre sang teint les bannières de France ».


Une explication alléchante n’est-il pas ? Elle est pourtant parfaitement fausse ! En effet, la preuve de cette inexactitude nous est à nouveau donnée par des sceaux, publiés dans le premier volume de la Collection de sceaux de Louis Douët d’Arcq, paru en 1863. Nous avons dans ce recueil la mention de trois sceaux émis par Geoffroi IV de Châteaubriant, portant un écu semé de fleurs de lis et datant de … 1242 et 1247. Donc avant la septième croisade dont la famille dit tenir ses armes, ce qui prouve bien la fausseté de cette légende héraldique, comme c’est le cas pour de nombreuses légendes lié à l’octroi d’armes en France. En effet, les armoiries de France, prises sous Louis VII au cours du XIIe siècle, sont très tôt associées à un don divin légendaire. Clovis, lors de la bataille de Tolbiac contre les Alamans en 496 et voyant la bataille lui échapper, aurait promis au Dieu chrétien de se faire baptiser et aurait vu dans le ciel une bannières aux fleurs de lis (une sorte de remix de la bataille du Pont Milvius de Constantin). Ce type de légende du don divin des armoiries est assez courant en Europe (c’est aussi le cas du drapeau du Danemark) et provoque une seconde tendance, l’octroi légendaire d’armes par le souverain à ses seigneurs loyaux ou valeureux. C’est ainsi que de nombreuses familles françaises vont rattacher leurs armes à la bataille de Bouvines en 1214, comme les Montmorency et leurs seize alérions. On a ici un rappel flagrant de la pyramide féodale, dans laquelle le souverain tient son pouvoir de Dieu et où le vassal le tient de son suzerain, en tout cas dans les esprits.


Sceau de Geoffroi III de Châteaubriant, 1217

Pour autant, le choix des fleurs de lis n’est sans aucun doute pas anodin. Il s’agissait déjà à l'époque d’armes très liées au pouvoir royal et s'il n’était apparemment pas interdit de les reprendre (modifiées légèrement) pour soi, cela relevait assurément d’un choix politique. Il est en effet assez courant de voir un vassal reprendre tout ou partie des armoiries de son suzerain en signe de fidélité, et nous pouvons tout à fait imaginer que cela fut tel pour Geoffroi III ou Geoffroi IV de Châteaubriant. En effet, entre 1227 et 1234, le duc de Bretagne Pierre de Mauclerc se rebelle contre le roi de France Louis IX et la régente Blanche de Castille dans le cadre de la révolte des barons, faisant même hommage au roi d’Angleterre en 1229. Il est privé du bail du duché de Bretagne par une assemblée de barons français en 1230, ce qui entraîne la défection de plusieurs barons bretons révoltés, dont Geoffroi III de Châteaubriant. Pierre de Mauclerc est finalement vaincu en 1234. La prise des fleurs de lis par les Châteaubriant auraient pu alors être, dans ce contexte troublé, un symbole de loyauté au roi de France.


Un message implicite peut donc être caché par des armoiries, et même souvent couvert d’un voile de légendes chevaleresques. Il faut néanmoins garder à l’esprit que tout ceci ne reste que des hypothèses en l’absence d’une explication par les créateurs de ces nouvelles armoiries eux-mêmes, ce qui ne se retrouve malheureusement presque jamais pour les temps médiévaux.


Raphaël Vaubourdolle


Crédits images (dans l'ordre) :

  • ©️ Raphaël Vaubourdolle

  • ©️ Jimmy44 sur Wikipedia Commons

  • Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, tirés des archives de cette province, de celles de France et d'Angleterre, des recueils de plusieurs sçavans antiquaires, Pierre-Hyacinthe Morice de Beaubois, 1742, tome I, planche 4


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